On présente ici les particularités de ces éléments eu égard à un calcul aux éléments finis.
Prise en compte des phénomènes différés - Le plus souvent, l’ingénieur de projet s’intéresse aux effets de redistribution des contraintes et aux déformations différées qui accompagnent le vieillissement des matériaux.
Pour y parvenir, le calcul statique par incréments de temps est particulièrement bien adapté et largement suffisant. Le retrait et le fluage du béton, par exemple, ne dépendent que du temps écoulé depuis le remplissage du coffrage. Dans un calcul incrémental, ils seront introduits comme des déformations imposées en chaque nœud du maillage. Il est possible de calculer a priori, pour chaque pas de temps ou incrément, la carte des déformations de retrait et de fluage : le solveur éléments finis intègre cet état initial dans la recherche de l’équilibre d’un matériau élastoplastique.
Il convient néanmoins de prêter attention à l’interaction entre les effets différés et les phases de construction, comme cela sera expliqué par la suite.
Prise en compte de la fissuration - Lorsque le béton se fissure en traction, il se développe des fissures débouchant vers le parement le plus proche, ainsi que des fissures le long de l’interface acier béton ([Goto], figure ci-dessous).
Fissuration interne du béton armé
Lorsque l’on considère une bielle tendue de béton armé fissuré comme un milieu continu homogénéisé, la loi de comportement N(ε) (où N est l’effort normal de traction) suit l’allure de la figure ci-dessous.
Modèle schématique de l'effet de tension stiffening
Le Model Code 1990 de la CEB-FIP en donne une expression analytique. Cette relation peut être utilisée en modélisant la section de béton fissurée comme un élément de barre dont on actualiserait le module de rigidité par incréments (suivant la valeur de l’effort normal ou de l’allongement, puisque la relation est inversible). On peut aussi l’utiliser comme loi de comportement d’une fibre d’un élément multifibre.
Béton confiné - Pour les zones de béton confinées (par des cadres d’armature passives, par exemple), il est possible de prendre en compte la résistance résiduelle post-écrasement, comme l’indique l’EN1992-1, en utilisant la loi de Sargin :
avec εc1 la valeur au pic telle que
avec
Pour
L’EN1992-1 au §3.1.9 propose également un incrément de résistance et de déformation du béton quand il est soumis à un contrainte de confinement de valeur σ2=σ3 tel que :
Cette loi n’est toutefois qu’unidimensionnelle, et ne vaut que sous chargement monotone. On ne peut donc s’en servir avec la méthode des éléments finis qu’en modélisant le béton confiné par un élément de barre (donc on modifierait incrémentalement le module), ou comme loi de comportement d’une fibre d’un élément de poutre multi fibres.
La précontrainte par pré-tension, caractéristique notamment des produits en béton préfabriqués industriellement (poutres, prédalles, dalles alvéolées, poutrelles…), consiste à venir tendre des câbles (fils, torons ou barres) dans des bancs de fabrication puis de venir couler le béton avant de détendre les câbles lorsqu’une résistance minimale du béton est atteinte (appelée résistance du béton au relâchement). L’intensité de la tension des câbles (qui ne doit pas dépasser la force de précontrainte maximale autorisée par les codes de calculs), le nombre de câbles et la résistance du béton sont ajustés en fonction des charges que doit reprendre le plancher ou l’élément précontraint.
Lors de cette détention, des pertes instantanées, de l’ordre de 8% pour une prédalle précontrainte par exemple, doivent être prises en compte (pertes dues à la rentrée d’ancrage, à la relaxation des armatures de précontrainte pendant la période entre la mise en tension des armatures et le transfert de la précontrainte, au raccourcissement élastique du béton sous l’effort de compression imposé par la précontrainte) lors d’un dimensionnement en phase provisoire de chantier avec une longueur de transmission de la précontrainte à considérer en partant de l’about de l’élément préfabriqué en béton.
A plus long terme, des pertes différées dues au retrait du béton, à la relaxation de l’acier ou au fluage du béton pour atteindre au final une perte totale de 20 % par exemple pour une prédalle précontrainte, doivent également être considérées.
Dans de nombreux codes de calculs aux éléments finis, la précontrainte peut être intégrée dans des éléments finis de type poutre représentant les câbles liaisonnés à des éléments finis volumiques représentant le béton. Suivant la zone d’étude, il peut être nécessaire par exemple dans les zones d’abouts de considérer la longueur de transmission de la précontrainte dans les câbles. La distribution de la force réelle de précontrainte (avec prise en compte des pertes instantanées ou différées en fonction du moment dans la durée de vie du produit où l’on souhaite faire le calcul/vérification) est alors variable le long de cette longueur de transfert. Une distribution linéaire de cette force de précontrainte est autorisée dans la plupart des codes de calculs et reste dans la plupart des cas sécuritaire pour le dimensionnement par rapport à la distribution parabolique plus réaliste.
Pour des raisons de complexité et de besoin (dimensionnement limité à des déformations élastiques), la modélisation de ces éléments est réalisée la plupart du temps avec des hypothèses linéaires (lois de comportement du béton et de l’acier élastique linéaire, contact parfait entre le béton et l’acier…). Pour des études fines, des hypothèses non linéaires peuvent toutefois être mises en place selon le besoin comme par exemple des lois de comportement de type endommagement pour le béton, de type élasto-plastique pour l’acier et l’introduction d’éléments d’interface acier-béton.
Pertes élastiques - La mise en tension des câbles de précontrainte par post-tension s ’accompagne de pertes instantanées : frottement, recul d’ancrage et perte par allongement élastique.
Effets différés : fluage, retrait et relaxation - La prise en compte des effets différés s’effectue par un calcul incrémental. Le fluage et le retrait peuvent être introduits comme des déformations volumiques incrémentales, données en chaque nœud du maillage.
Choix du type d’analyse
De par leur fort élancement, les charpentes métalliques sont très déformables. Il en résulte que l’hypothèse traditionnelle de réaliser l’équilibre des efforts en configuration initiale n’est pas toujours valable ; il faut alors établir les distributions d’efforts internes en configuration déformée.
La sensibilité à ces effets non linéaires, dits parfois du second ordre, est jugée au travers du multiplicateur critique αcr, le multiplicateur des charges conduisant à l’instabilité eulérienne de la structure. Dans la version actuelle de l’Eurocode 3 :
Dans les deux derniers cas, les imperfections géométriques globales doivent être considérées, ainsi que les imperfections d’éléments si elles influent sur le comportement global.
Les imperfections d’éléments regroupent :
Ces dernières peuvent être représentées par une imperfection géométrique équivalente, dont la valeur peut être trouvée dans les normes en vigueur.
Ces imperfections doivent être intégrées pour toute analyse d’un élément de charpente intégrant les effets non linéaires.
Les modèles de type structure ou RdM (barres, poutres, plaques et coques) sont en principe idéalement adaptés aux calculs de charpente métallique.
Structures filaires
Analyse élastique
En vue de la modélisation, il y a lieu toutefois d’analyser précisément :
Analyse plastique
Lorsque la ductilité sectionnelle et/ou la ductilité des assemblages est assurée, il est possible de réaliser des analyses structurelles intégrant la plasticité. Différentes méthodes peuvent être utilisées (EC3, §5.4.3) :
Torsion
Les éléments en acier sont rarement massifs ; ils sont composés de parois minces pour constituer des profils, ouverts ou fermés. En particulier dans le premier cas, la réponse aux sollicitations en torsion se fait à la fois en torsion uniforme, dite de Saint Venant, et en torsion non uniforme, entraînant un gauchissement de la section. Ce dernier phénomène n’est habituellement pas pris en compte dans les logiciels commerciaux, alors qu’il peut avoir un effet déterminant dans la réponse des structures. Dans ce cas, deux solutions sont envisageables :
Décomposition de la torsion en torsion uniforme et non uniforme : hypothèse simplifiée de biflexion
Éléments bi ou tridimensionnels
L’analyse élastique linéaire des éléments aciers bi ou tridimensionnels ne présente pas de problèmes spécifiques, et les règles générales s’appliquent.
Par contre l’analyse non linéaire peut être requise pour étudier les phénomènes d’instabilité. En effet, les structures composées de plaques d’acier, qu’elles soient planes ou courbes, sont sujettes à des phénomènes de voilement.
Dans le cas des éléments plans, appelés plaques, le voilement est un phénomène relativement stable : l’initiation du voilement de la plaque n’entraine pas la ruine, la charge maximale est atteinte après voilement. On parle de comportement post-critique.
Dans le cas des éléments courbes (coques), l’instabilité entraine la ruine immédiate de la structure, souvent brutale. D’un point de vue numérique, dans une analyse statique non linéaire, cela se traduit par une rapide décroissance de la charge au-delà du maximum.
Dans les deux cas, la charge maximale est fortement dépendante de la déformée initiale appliquée, tant en amplitude qu’en forme. L’amplitude est fixée par les normes. La forme est choisie habituellement affine au premier mode d’instabilité. Cependant ce choix n’est pas nécessairement le plus pénalisant. Il est conseillé de le compléter par des modes locaux lorsque la structure présente des panneaux de dimensions fortement différentes.
Par exemple, dans le cas d’un platelage orthotrope, la déformée affine au mode de voilement global doit être complétée de déformées affines au voilement des sous panneaux.
Dans le cas des structures de type coque, le problème est encore plus critique. Il est conseillé, une fois un premier calcul effectué selon les hypothèses ci-dessus, d’adopter dans un deuxième calcul une forme de déformée initiale affine à la déformée obtenue à la ruine.
L’alternative d’une construction mixte acier-béton est parfois préférée pour certains types de bâtiments industriels et pour des ponts de petites à moyennes portées (travée centrale < 100 m). L’alliance de ces deux matériaux en les faisant « travailler » dans leurs domaines de résistance (béton en compression et acier en traction) permet d’obtenir une structure légère et résistante. Afin d’aboutir à ce résultat, la connexion entre ces deux matériaux se doit d’être correctement dimensionnée. On distingue :
Les analyses structurelles globales sont usuellement menées par analyse élastique en homogénéisant la section, ou en représentant de façon séparée les deux matériaux. Cette deuxième façon de procéder peut conduire à des difficultés dans le traitement des résultats, puisqu’il faut recalculer les efforts sur la section globalisée pour pouvoir appliquer les règlements en vigueur.
Lorsque l’on désire effectuer des analyses plus fines, étant donné la diversité des matériaux mis en collaboration dans ce type d’alliance, autant sur le plan géométrique que sur le plan du comportement en général non-linéaire, des modèles aux éléments finis 3D s’avèrent nécessaires pour mener des études locales incluant un traitement des diverses interfaces (par des éléments finis de contact par exemple). Pour des études à l’échelle de la structure ou des éléments, des modèles 2D relativement performants ont été développés cette dernière décennie notamment, ceux basés sur un découpage de la section transversale en fibres (modèle à fibres) pour permettre d’estimer par intégration numérique la rigidité en section.
Le raboutage des poutres de ponts mixtes constitue aussi un détail relativement complexe. Quelle que soit la solution de raboutage retenue (par couvre-joints, par chevêtre ou par diaphragme), les modèles 3D utilisant des éléments finis de type massifs sont préférés aux modèles 2D simplifiés mais requièrent des temps de calculs relativement importants.
Fissuration - Les poutres mixtes sont usuellement constituées d’un profil métallique solidarisé à un plancher ou un tablier en béton armé au moyen de connecteurs. Il en résulte que, dans les zones de moment positif, où la dalle est comprimée, la résistance et la raideur sont particulièrement importants, alors que dans les zones de moment négatif, la fissuration entraîne des caractéristiques mécaniques nettement moindres. Ceci ne peut être négligé dans l’analyse structurelle globale de la structure. Différents niveaux de modélisation sont admis dans les codes :
Connexion
Sauf en cas d’analyse non linéaire, il n’est pas utile de modéliser la connexion. Les normes actuelles permettent de prendre en compte l’effet d’une connexion partielle sur la résistance des éléments.
Dans le cadre de la modélisation, des éléments finis de type poutre (2D ou 3D) sont en général utilisés pour modéliser la connexion ponctuelle. Pour une hypothèse de connexion répartie, il existe des modèles appropriés dans la littérature.
Largeurs collaborantes
Les poutres acier sont connectées à des éléments particulièrement larges et le trainage de cisaillement peut entraîner une répartition non uniforme des contraintes sur la largeur de la dalle.
Dans les modélisations filaires, ce phénomène est habituellement pris en compte en adoptant une largeur réduite de dalle dans la modélisation, à contrainte constante puisque la modélisation poutre l’impose.
En toute rigueur, comme le trainage de cisaillement est lié à la transmission de l’effort rasant par la connexion à la dalle, et est donc dépendant de la forme du diagramme de moment, la largeur collaborante devrait varier de combinaison à combinaison. Cependant les normes autorisent d’adopter une largeur unique pour l’ensemble des calculs.
Cette variabilité des largeurs collaborantes sera prise en compte si une modélisation de la dalle est réalisée par des éléments de type surfacique.
Effets différés et retrait
Les effets différés du béton influent sur la répartition des raideurs dans la structure et donc sur la répartition des efforts et doivent être pris en compte. Il est à noter que l’Eurocode module la valeur du coefficient d‘équivalence acier-béton en fonction du type de chargement. La sollicitation de retrait induit une distribution de contrainte autoéquilibrée sur la section ; celle-ci aussi doit être prise en compte.
Analyses non linéaires
La modélisation non linéaire des structures mixtes adopte les hypothèses matérielles et d’imperfections géométriques utilisées pour les matériaux béton et acier seul.
Comme déjà dit, la connexion doit être modélisée avec sa propre raideur. Il est à noter que son traitement numérique reste délicat : habituellement, il est supposé que les parties béton et acier ne peuvent se désolidariser transversalement, et que seul un glissement longitudinal est possible. La formulation éléments finis d’une telle liaison peut entraîner des phénomènes de « locking » : le glissement est bloqué par un jeu de projection de la raideur transversale empêchant le soulèvement lorsque l’équilibre est établi en configuration déformée. Il convient donc, lorsque ce type d’élément est utilisé, de vérifier la cohérence des efforts apparaissant dans la connexion avec les efforts de traction/compression des éléments acier.
Introduction dans les calculs - Certains éléments de câbles peuvent être modélisés comme des barres de section équivalente : tel est le cas des suspentes verticales, ou des câbles de précontraintes, guidés dans leur gaine : la courbure de ces câbles à l'équilibre est pratiquement indépendante de leur masse linéique. Dans les autres cas, le poids propre des câbles tend à la courber : la direction verticale est une direction particulière qui intervient dans la raideur de ces éléments.
Lorsqu’à l’échelle de la portée du câble, sa courbure devient importante, celle-ci conditionne fortement les contraintes et les efforts qu’il peut transmettre au reste de l’ouvrage. Pour les haubans, par exemple, la raideur du câble dépend principalement de sa flèche, et de son allongement. La flèche dégrade la raideur du câble, et donc la relation tension/flèche du câble est par essence non-linéaire.
Les éléments de câble présents dans la plupart des codes s’inspirent du modèle de [Gimsing], qui suppose que le câble se déforme selon une courbe parabolique, hypothèse qui est valide dès lors que le rapport flèche/portée est inférieur à 1/12 environ. Ce modèle découple l'allongement élastique de la flexion du câble.
Effet de chaînette - Lorsque la flèche d'un câble est supérieure à 1/12 de sa portée, il n'est plus possible de découpler l'allongement élastique de la flexion, car le bras de levier de la tension devient prépondérant dans l'expression du moment fléchissant. Plusieurs codes de calcul proposent des éléments de caténaire pour rendre compte de cet effet géométrique. Ces éléments connectent deux nœuds du maillage, et un seul élément suffit pour modéliser le câble.
Déplacements nodaux d'un élément de chaînette
Pour ce type d'élément, les inconnues nodales sont le déplacement vertical (dans la direction de la gravité) et le déplacement horizontal (cf. figure 4) ; les réactions associées sont la variation de la composante horizontale de la tension du câble, et la réaction verticale aux ancrages. La relation entre les déplacements nodaux et ces réactions dépendant de la tension du câble, la recherche de l'équilibre est un problème non-linéaire, quoique la structure soit globalement élastique.
A suivre : D.3 Les phases de construction