Modélisations et calculs aux éléments finis dans le domaine du génie civil - Bilan du groupe de travail 2016-2019
Les résultats d’un calcul réalisé sur un modèle éléments finis surfaciques (éléments de type plaques ou coques) peuvent présenter des pics de contraintes (ou singularités). La présence de pics de contraintes n’est pas contrariante s’ils sont localisés dans des zones hors d’intérêt vis-à-vis des objectifs de l’étude et si leur présence est justifiée.
Il faut garder à l'esprit qu'un pic de contraintes, c'est à dire une contrainte très élevée, doit concerner deux ou trois nœuds, voire un seul nœud au maximum (mais la structure peut cependant présenter plusieurs pics de contraintes).
Lors du dimensionnement d’un assemblage de tôles soudées entre elles (caisson de pont métallique au droit d’un appui par exemple), la réalisation d’un modèle aux éléments finis surfaciques s’avère nécessaire pour une prise en compte correcte de la diffusion des efforts. Et bien sûr, à partir du même modèle, les contraintes dans les tôles pourront être extraites pour procéder au dimensionnement de l’assemblage de ces tôles.
Néanmoins, l’idée générale restera de toujours conserver un regard critique sur les résultats obtenus. Ceux-ci devront être analysés convenablement avant de pouvoir les considérer fiables vis-à-vis des objectifs de l’étude menée.
Cette analyse sur la fiabilité des résultats bute souvent sur l’interprétation de la présence éventuelle de pics de contraintes.
L’objet de ce paragraphe est de donner des pistes pour aider le modélisateur à qui il appartient d’évaluer le caractère gênant ou non d’un pic de contrainte.
Les apparitions de pics de contraintes peuvent avoir différentes origines dont les principales sont :
Avant de se lancer dans la modélisation surfacique d’un assemblage de tôles, il est indispensable de connaître et de maitriser les outils CAO du logiciel et ses capacités de maillage.
Il est d’usage lors de la création de la géométrie de négliger certains détails. Deux cas parmi d’autres :
Note 1 : La modélisation d’un congé de raccordement ne créera plus un pic de contrainte, mais une simple concentration de contraintes. Les abaques de concentrations de contraintes sont basés sur ce type de modélisation.
Note 2 : En mécanique de la rupture, le modèle de fissure caractérisé par un angle nul est un cas particulier utilisé pour modéliser la propagation des fissures qui est basée sur la notion de facteur d’intensité des contraintes.
Géométrie réelle / Géométrie simplifiée
La transition des efforts peut ne pas être affectée mais le maillage du raidisseur sera à piloter de manière à ne pas se retrouver avec des éléments dégénérés pouvant créer des singularités. Et à la pointe du raidisseur, un pic de contraintes peut apparaître lequel en cas de mauvaise interprétation peut amener à de fausses conclusions. Voir également le § C.3;
Maillage non représentatif / Maillage représentatif
En l’absence de plans détaillés des détails constructifs à modéliser, on s’appuiera sur les dispositions constructives et règles de l’art, lesquelles, en matière d’assemblages métalliques (congés de raccordement, plats locaux, raidisseurs, etc.), donnent des bases conduisant en général à une diffusion satisfaisante des efforts. Par exemple, les recommandations de la CNC2M pour le dimensionnement des poutres en acier avec ouvertures dans l’âme selon la NF EN 1993 précisent que, pour une ouverture rectangulaire, le rayon des congés de raccordement doit être supérieur ou égal à deux fois l’épaisseur de l’âme sans être inférieur à 15 mm, ou encore qu'une ouverture isolée présentant une dimension maximale inférieure à 10% de la hauteur de l'âme de la poutre n'est pas considérée comme significative (cette ouverture doit néanmoins être prise en compte lors de la vérification de la section).
Dans certains cas, on ne peut pas négliger la prise en compte des détails (voir également le § C.2.2). Par exemple, lors d’une vérification à la fatigue des assemblages d’une dalle orthotrope, on peut utiliser des modèles simplifiés de calcul décrits dans les règlements de calcul. Mais ces modèles sont sécuritaires et, si la résistance à la fatigue n’est pas justifiée avec ces approches simplifiées, deux possibilités s'offrent au projeteur :
Pour tenir compte des effets du passage d’un véhicule (effets longitudinaux et transversaux, lignes d’influence), il peut être nécessaire de modéliser une longueur assez conséquente de l’ouvrage. En revanche, la zone de modélisation des détails peut être limitée.
Il convient également de bien appréhender les capacités de maillage du logiciel. La plupart des logiciels peuvent mailler de façon automatique un assemblage de plaques, aussi complexe soit-il.
L’intervention de l’utilisateur peut alors se limiter à la définition de quelques paramètres tels que la taille moyenne des éléments ou leur forme (quadrangulaires, triangulaires). Il vaut mieux cependant avoir la possibilité de pouvoir piloter le maillage en choisissant l’ordre des surfaces à mailler, en venant imposer des tailles de maille plus fines dans certaines zones, ceci afin d’éviter la présence d’éléments dégénérés.
Exemple de maillage dégénéré
Dans un assemblage complexe, du fait de la forme et du nombre de pièces assemblées, le risque de voir se produire des incohérences de maillage est grand. Pour réduire ce risque plusieurs points sont à observer, pour rappel :
Décomposition en surface élémentaire d’une poutre en I
Exemple de panneaux avec des surfaces gauches
Une des causes fréquentes de l’apparition de pics de contraintes est la présence d'efforts ponctuels ou de blocages ponctuels.
Si une charge ponctuelle (respectivement un appui ponctuel) mis en place est hors zone d’intérêt, la présence d’un pic de contraintes n’est pas contrariante. En revanche, si elle se trouve dans la zone d’intérêt, plutôt qu’une force ponctuelle, il vaut mieux appliquer la force sur plusieurs nœuds (respectivement bloquer plusieurs nœuds).
Comme décrit dans les chapitres précédents, dans la réalité, les forces ponctuelles et les appuis ponctuels n’ont pas de sens physique (on note néanmoins que dans un modèle de poutre filaire, les appuis ponctuels ne créent pas de pics).
Application pratique :
Considérons une poutre HEB modélisée en éléments de plaques. Un pic de contraintes apparaitrait, si le torseur d’effort dans une section était appliqué en un nœud. Il vaut mieux se rapprocher de la réalité, en transformant le torseur d’effort en contraintes normales et tangentes (sous forme d’efforts linéaires, le cas échéant) et procéder comme suit :
Effort normal / Effort tranchant / Moment fléchissant
Il en sera de même pour modéliser les appuis de la poutre. Considérons les deux cas suivants :
1er cas : en chacune des extrémités, mise en place d'un blocage vertical ponctuel (le blocage transversal de deux nœuds est effectué pour stabiliser la poutre en rotation autour de son axe).
1er cas - conditions aux limites / iso-contraintes longitudinales (en MPa) – la zone du pic de contraintes est entourée
2ème cas : en chacune des extrémités on effectue le blocage vertical et transversal des nœuds d’une partie de l’âme afin de se rapprocher de la réalité.
2ème cas - conditions aux limites / iso-contraintes longitudinales (en MPa)
Les pics de contraintes apparaissant dans le 1er cas sont donc dus à la présence d’une réaction nodale ponctuelle. Cependant, en observant les résultats uniquement sur la partie centrale de la poutre, on retrouve des résultats identiques à ceux du 2ème cas.
1er cas – partie centrale – iso-contraintes longitudinales (en MPa)
Cas sans raidisseurs - conditions aux limites / Iso-contraintes longitudinales (en MPa)
Cas sans raidisseurs - iso-contraintes verticales (en MPa)
Des pointes de contraintes apparaissent à l’intersection âme/semelle inférieure malgré le fait que le blocage vertical ait été effectué sur plusieurs nœuds. Le problème ici est plutôt un problème de conception. Il est d’usage au droit des appuis de mettre en place des raidisseurs transversaux (voir les règlements de calcul concernant la résistance aux forces transversales de l’âme des poutres et les vérifications au voilement local). Si nous reprenons le modèle en ajoutant des raidisseurs transversaux au droit des appuis, les pics de contraintes au droit des appuis disparaissent.
Cas avec raidisseurs - conditions aux limites / iso-contraintes longitudinales (en MPa)
Les pics de contraintes apparaissant en l'absence de raidisseurs sont donc dus à un problème de conception. Cependant, en observant les résultats uniquement sur la partie centrale de la poutre, on retrouve des résultats similaires au cas avec raidisseurs.
Cas sans raidisseurs – partie centrale – iso-contraintes longitudinales (en MPa)
La modélisation étant terminée, en ayant respecté au mieux les conseils énoncés précédemment, le calcul est exécuté. Il convient d’analyser attentivement tous les messages que peut générer le logiciel. Généralement un message d’erreur bloquera le solveur, contrairement aux messages d’avertissement qui devront être analysés et interprétés avec soin. Il est recommandé de ne pas passer outre ces messages sans en avoir bien évalué les conséquences possibles, quitte à mobiliser la hotline de l’éditeur.
Il convient de bien appréhender les capacités offertes par le logiciel pour l’affichage et les types de résultats. Voici une liste non-exhaustive de paramètres au sujet desquels il convient de s’interroger :
Dans l’exemple ci-dessous, des contraintes largement supérieures à la limite élastique apparaissent sur des pics localisés.
Exemple d'échelle non adaptée à une analyse des contraintes
Un bornage supérieur de l'échelle, possible avec de nombreux logiciels, permet de faire apparaître les zones impactées par les dépassements :
Bornage de l'échelle
Les paramètres d’exploitation du logiciel étant bien appréhendés, avant toute exploitation des résultats et analyse de pics de contraintes subsistant éventuellement, il convient de procéder à quelques vérifications simples pour valider le modèle de calcul :
Il s'agit finalement des contrôles fondamentaux qu'il est nécessaire de réaliser pour toute modélisation aux éléments finis (voir le § E.2 Autocontrôle).
Nous l’avons déjà dit, il est possible d'utiliser un modèle présentant des pics de contraintes à condition d’avoir la certitude que ces pics ne perturbent pas le résultat des objectifs de l’étude. En tout état de cause, il appartient à l’ingénieur d’évaluer le caractère gênant ou non d’un pic de contraintes à l’aide de son expérience et de son esprit critique.
La mise en place de congés de raccordement ou de raidisseurs locaux a pour but d’assurer entre autres une meilleure diffusion des efforts. Les dispositions constructives et les règles de l’art en matière d’assemblages métalliques vont dans ce sens.
Par conséquent, la non-modélisation d’un détail constructif va probablement se traduire par un pic de contrainte.
Pour autant, la modélisation du détail constructif ne nous exempte pas de la présence d’une concentration de contraintes d’autant plus forte que le maillage de la zone locale du détail est plus grossier. Des tests de sensibilité à la taille des éléments peuvent être réalisés afin de bien appréhender les résultats affichés. Les abaques de concentration de contraintes peuvent également s’avérer utiles.
Exemples de concentrations de contraintes au niveau de singularités
Les concentrations de contraintes présentant un pic avec des valeur supérieures à la limite élastique du matériau peuvent être acceptables à l’ELU si elles se trouvent très localisées et en peaux. Néanmoins, leur justification peut nécessiter parfois la réalisation d’un calcul élasto-plastique, surtout si la zone de contraintes dépassant la limite élastique est traversante (risque d’apparition de rotules plastiques). Si le logiciel l’autorise, ce calcul élasto-plastique est réalisé en considérant une loi de comportement bi-linéaire du matériau. L’Annexe C (informative) de l’EN 1993-1-5 autorise une valeur limite de la déformation maximale de 5% pour les zones en traction. Pour les zones en compression, il convient de rester vigilant vis-à-vis des phénomènes de voilement locaux.
Le maillage des zones d’intérêt doit être adapté aux champs de contraintes ou de déformations attendues.
Si le maillage est mal adapté avec, par exemple, des changements brusques de taille, des sauts de contraintes d’un élément à l’autre sont à craindre. Une discrétisation défaillante se traduira par des écarts importants entre les résultats de la simulation et la réalité. Ces écarts peuvent être réduits en procédant à une étude de sensibilité du maillage : on estime que le maillage est satisfaisant lorsque le raffinement entraîne une variation faible du résultat ; par exemple une variation inférieure à 5% pour des tailles d’éléments divisées par 2). Mais attention, ce n’est pas parce qu’un résultat semble stabilisé à 5% que l’on approche la réalité à 5%.
Il n’est pas nécessaire de raffiner le maillage sur la totalité du modèle. La plupart des logiciels permettent d’afficher des cartes d’erreur permettant de localiser les zones à fort saut de contrainte. Certains logiciels permettent même de corriger automatiquement le maillage afin de réduire ces écarts (maillage adaptatif).
Nous avons présenté précédemment les effets de la mise en place d’un effort ou d’un blocage ponctuel.
Cependant, même en ayant pris le soin de répartir la charge sur plusieurs nœuds, il se peut que des concentrations de contraintes apparaissent avec des valeurs maximales supérieures à la limite élastique du matériau. Cette situation peut néanmoins être tout à fait admissible selon l’objectif de l’étude et de la modélisation. Prenons le cas, par exemple, de la modélisation de la zone d’attache d’une suspente. L’effort provenant de la suspente est réparti suivant une répartition sinusoïdale sur les nœuds de la moitié de la circonférence de l’alésage (trou).
Nous obtenons une concentration de contraintes autour des alésages des axes dont la valeur maximale est de 558 MPa, valeur bien au-delà de la limite élastique de 400 MPa. Cependant, cette valeur maximale n’est pas à comparer à la limite élastique. La concentration de contraintes est due ici à la pression diamétrale et les règlements indiquent que la résistance en pression diamétrale de la plaque est égale à 1,5.t.d.fy. L’épaisseur t de la chape et le diamètre d de l’alésage étant pris en compte de par la modélisation, il convient donc comparer 558 MPa à 1,5 x 400 = 600 MPa.
D.6.6 Synthèse
Si les pics de contraintes sont dus à des singularités (angle rentrant, interface entre deux matériaux différents, efforts ponctuels), ils peuvent être négligés … si l’état de contraintes au voisinage de la singularité ne fait pas partie des objectifs de l’étude EF. Sinon, il convient d’améliorer la modélisation (remplacer l’angle entrant par un congé de raccordement, remplacer la zone de discontinuité entre lois de comportement de matériaux différentes par une zone de transition dans laquelle les paramètres varient de façon continus, remplacer une force ponctuelle par une pression de contact sur une surface non nulle).
Si ces pics de contrainte apparaissent dans des zones hors voisinage d’une singularité, il convient de prendre la peine de raffiner successivement le maillage de ces zones pour connaître le niveau de contraintes plus réaliste.
Concernant le lissage, il n’y pas de méthode simple et directe. Le lecteur pourra regarder ce qui est pratiqué pour les calculs en fatigue, dans le cas d’un gradient de contraintes important au voisinage du pied de cordon de soudure dans les assemblages, avec l’application de la méthode de la contrainte géométrique au point chaud (voir la bibliographie (réf. Hobbacher)).
Concernant la valeur de la contrainte maximale obtenue, elle doit être comparée à la valeur limite précisée par les Normes de Calcul. Pour les aciers, les normes Eurocodes définissent la valeur de la limite élastique selon la nuance de l’acier et l’épaisseur de la plaque ou du tube ; par exemple pour un tube en acier S355 d’épaisseur 35 mm → limite élastique = 345 MPa selon l’EN 10210.
Tout dépassement de cette limite :
Rappelons, enfin, qu'un calcul EF (sauf à activer certaines options de calcul très spécifiques) ne permet pas de tenir compte de phénomènes autres que le traînage de cisaillement, par exemple les phénomènes d’instabilité tels que le voilement et le déversement des tôles.
A suivre : D.7 Compléments spécifiques pour les calculs dynamiques